La poterie
La poterie jurassienne: un art ancestral
L'artisanat, voire certaine forme d'industrie prennent toujours racine, là ou la région offre une ressource naturelle particulière à ses habitants. C'est une loi universelle qui a orienté toutes les étapes de cette grande aventure humaine qu'est la civilisation. Ainsi, on a vu des fonderies et des forgeronneries naître et se développer dans des contrées où le sous-sol était particulièrement riche en fer. Ou encore d'importantes scieries qui se sont établies au coeur des régions recouvertes d'immenses forêts.
Le Jura, outre le bois et la générosité de sa terre, disposait d'une ressource souterraine, l'argile, que d'habiles artisans ont su exploiter avec bonheur. Et ces maîtres d'un autre temps s'étant souciés de transmettre, en héritage, la perfection de leur art à la postérité, la poterie jurassienne suscite, encore aujourd'hui, l'admiration du monde entier.
Bonfol, capitale de la poterie jurassienne
Bonfol, village de dimension modeste (env. 800 habitants), situé aux confins du Jura à proximité de l'Alsace peut revendiquer fièrement le titre de capitale jurassienne de la poterie. Plusieurs ateliers ont permis, en effet, à beaucoup d'ouvriers très qualifiés de créer et confectionner nombres d'objets en terre cuites aux lignes harmonieuses, d'usage utilitaire ou décoratif, mondialement connus et appréciés. Parmi ces objets, citons : les fameux caquelons à qui Bonfol doit sa célébrité, des pots à lait, des cocottes, des services à café, des moules à gâteau des saucières, etc...
Aujourd'hui, certains de ces ateliers subsistent encore, alors que d'autres ont été contraints de fermer leurs portes, leur marché, jadis important, n'ayant pu résister aux assauts de celui des ustensiles en matière plastique. La disparition de cet artisanat a été largement compensée par l'implantation d'une industrie céramique florissante. Celle-ci réalise, en grande quantité, de nombreux produits destinés au secteur du bâtiment. Enfin, l'aspect culturel de cet art ancestral n'est non plus délaissé, puisqu'en tout temps, un petit musée de la poterie accueille de nombreux touristes et visiteurs de passage à Bonfol.
La poterie jurassienne à travers les âges
On dispose de peu de documents quant à l'origine des artisans-potiers en Ajoie. On sait toutefois qu'au XIVe siècle, cet artisanat était déjà fort répandu et développé. En effet des textes anciens font mention, en 1383, de paysans de Bonfol allant vendre, à travers le pays, des pièces diverses en terre cuite, transportées dans des charrettes à foin. Mais le véritable essor de la poterie artisanale et industrielle, ainsi que la fondation des actuels ateliers remontent au début du siècle seulement.
Qu'est-ce que l'argile ? Où la trouve t-on ?
L'argile ou terre à pot est une terre glaise molle et grasse, constituée essentiellement de silicate d'aluminium. Imbibée d'eau en quantité adéquate, elle devient alors une pâte plastique, très malléable entre les mains de l'artisan qui la travaille. Puis sous l'effet de la cuisson, l'argile se durcit, conservant la forme des objets façonnés par les potiers.
Mais où trouve-t-on cette substance aux propriétés si remarquables? On sait que l'histoire de la planète est ponctuée par des périodes de grands froids et de glaciations que l'on nomme les ères glacières. Durant ces périodes, qui s'étalent sur plusieurs milliers d'années, les glaciers existants avancent alors que d'autres prennent naissance. Or, l'argile est formée par l'ancienne moraine de fond d'un glacier. La moraine est l'ensemble des débris de roches diverses emportées par celui-ci lors de ses importants mouvements. C'est au cours d'une ère géologique, capitale pour l'évolution de l'écorce terrestre, que les scientifiques désignent par le nom de quaternaire, que les glaciers ont élaboré l'argile. Or précisément, Bonfol se trouve exactement à l'endroit ou est venu mourir le glacier du Rhin. Ce qui explique à la fois l'abondance de l'argile dans cette localité et la présence de l'art qui découle de ses vertus. Aujourd'hui, les réserves de Bonfol sont pratiquement épuisées, mais le savoir-faire de ceux qui autrefois ont su l'exploiter demeure.
L'archéologie, cette science dont la vocation est de révéler au monde d'aujourd'hui les mystères du passé, à mis à jour de nombreux objets utilitaires démontrant que les civilisations les plus primitives connaissaient déjà les caractéristiques de l'argile et maîtrisaient remarquablement l'art de la façonner. D'ailleurs, Bonfol est un nom dérivé de la vieille langue celtique qui signifierait justement "terre riche en argile".
Visitons l'atelier d'un potier
Avant de procéder au façonnage de l'objet, la tâche initiale du potier consiste à préparer la matière première. Autrefois, à Bonfol, il fallait se rendre à la marnière pour y tirer l'argile qui généralement s'y trouvait à un mètre de profondeur. Sa couleur est rougeâtre. Après l'avoir extraite, on la laisse sécher sur des fours. La seconde phase consiste alors à réduire la terre glaise en poudre à l'aide d'un instrument très élaboré appelé moulin à boulets. Après quoi on procède à son nettoyage à l'aide de tamis pour ôter les impuretés, le petit gravier notamment, qui se trouve mêlé à l'argile. Cette opération, très délicate, est d'une importance capitale, si l'on veut éviter de désagréables surprises au moment de la cuisson. Avant de façonner l'argile, l'artisan-potier ajoute encore à cette substance un peu de sable.
C'est au moment où l'argile a été préparée et broyée qu'intervient alors l'habileté de l'artisan. A l'aide d'un tour à pied et de quelques outils, il va donner à celle-ci la forme tantôt d'un vase, tantôt d'un caquelon à fondue ou d'autres objets à vocation utilitaire ou décorative. C'est tout un spectacle que de contempler l'objet prendre forme sous les mains expertes de l'ouvrier.
L' opération la plus artistique du potier étant achevée, intervient une autre besogne délicate: le séchage. Celui-ci doit s'effectuer à l'ombre et lentement. Trop précipité, il provoquerait de nombreuses fêlures qui rendraient les pièces impropres à la cuisson. Avant de passer à celle-ci, on procède encore à la décoration, travail laborieux confié à de talentueux artistes.
La cuisson, comme on peut l'imaginer, est l'opération qui nécessite le plus d'attention. Au début, les pièces étaient chauffées, durant 24 heures dans de grands fours à bois, pouvant atteindre une température de 1100 degrés. Aujourd'hui, ces fourneaux, réservés exclusivement à cet usage, ont été remplacés par des fours électriques ou à mazout.
Cette dernière opération ayant été menée à bien, les objets peuvent alors être mis en vente, pour la plus grande satisfaction de l'artisan et de l'utilisateur.
La poterie ailleurs dans le Jura
Bonfol, malgré la place importante que ce village occupe dans le domaine du travail de l'argile, n'a pas l'exclusivité de cet art dans le Jura historique. On sait en effet que le village de Cornol, également en Ajoie, possédait jadis une célèbre faïencerie (1760-1870).
Le Jura méridional, quant à lui, à développé quelques ateliers de poterie à travers ses vallées. Mentionnons, parmi les villages où de nombreux créateurs de talent se sont jadis illustrés, Court, et les deux hameaux de Reuchnette et de La Heutte Ces deux petits villages comptaient, autrefois, des poteries de renom. Et n'oublions pas de citer la défunte faïencerie de Crémines fondées en 1748 et disparue au siècle passé, dans d'obscures circonstances.
Sources bibliographiques et iconographiques: L'Hôta, No 13, ouvrage collectif, EDITIONS ASPRUJ 1989